témoignage

Elena et Grégory

Elena et Gregory, merci de nous confier votre histoire. Qui êtes-vous et qu’en est-il de votre désir et projet d’enfant ?

Gregory – Notre histoire est une histoire presque classique, celle d’une rencontre, suivie d’un mariage et l’envie d’avoir un enfant ensemble. Dans mon désir de devenir père, il y a le souhait de donner du sens à certaines choses dans la vie, de transmettre, de donner de son temps et de ses ressources, pour offrir une belle vie à des enfants.

Elena – Maman de deux garçons de 7 et 10 ans, je vivais au Mexique quand j’ai rencontré Gregory. Les gens me demandaient si vouloir enfanter à nouveau était motivé par le fait de vouloir faire plaisir à mon conjoint ou de manquer de projets. Pour moi, la vie était déjà bien pleine, mais je ressentais l’envie d’avoir un bébé avec mon mari. Ça ne s’explique pas logiquement.

Gregory – Assez vite nous avons constaté que ça ne fonctionnait pas et que le temps passait vite.

Le temps passe deux ou trois fois plus vite quand on arrive autour de 40 ans, sans savoir si ça va marcher un jour.

Et en France, la PMA prend du temps.

Elena – Nous avons fait des stimulations suivies d’une première FIV au Mexique où nous vivions, puis quatre nouvelles FIV en France, avec 8 transferts. Nous avons vécu beaucoup d’espoirs déçus, pas un seul début de grossesse . . . et puis j’ai eu 43 ans.

Gregory – Nous avons commencé à penser à des alternatives possibles. C’est un peu par hasard que j’ai entendu parler du don d’ovocytes. La rencontre de l’association les Cigognes de l’espoir a été un déclic. Nous avons reçu des informations, pu poser des questions, entendre des témoignages et maturer dans notre réflexion.

Elena – Au départ j’étais prête pour l’adoption, mais pas pour le don d’ovocytes. Je craignais de nier à l’enfant son origine biologique, de préméditer, et d’inconsciemment le rejeter. Puis nous avons assisté à des conférences dont une que vous donniez pour l’association et à un atelier que vous animiez sur le don de gamètes et le transgénérationnel. J’ai réalisé que dans toutes les familles, il y a quelqu’un que l’on n’a pas connu, et que malgré tout l’amour peut circuler. Réaliser un début d’arbre généalogique en atelier a été une expérience incroyable, une première façon de faire une place à cet enfant en intégrant le don d’une autre femme. Et nous avons rencontré d’autres femmes et couples, écouté leurs histoires : cela m’a ouvert l’esprit, comme « décoincée ». Nous avons alors décidé de vous consulter en couple pour faciliter notre prise de décision.

Au cours de l’accompagnement périconceptionnel, quelles pratiques vous ont particulièrement permis de revisiter vos sources et mobiliser vos ressources ?

Elena – Je suis médecin et également hypnothérapeute. Je suis convaincue que le psychisme peut bloquer le corps.

Mettre en place un accompagnement psychologique et émotionnel pour considérer l’option du don d’ovocytes me semblait être un élément clé pour aborder des aspects plus subtils de cette démarche.

En commençant un arbre généalogique, j’ai réalisé qu’il y avait parmi mes ascendants une série d’enfants qui n’avaient pas connu leur père et parfois leur mère. J’ai compris aussi qu’il y avait un enjeu à mettre au monde un bébé blond comme Gregory et blond comme les bébés perdus « de type européen » de l’une de mes arrière-arrière-grand-mère, une française mariée à un mexicain. Je suis pédiatre et chirurgienne, spécialiste de maladies congénitales et c’est comme si j’étais aussi motivée à réparer quelque chose de plus subtil autour des enfants de mon arbre .

Gregory – Nous nous posions toute une série de questions concrètes aussi : choisir un don anonyme ou non ? le garder secret ou en parler ? à qui en parler et quoi en dire ?

Vous nous avez proposé de choisir des figurines pour représenter notre futur familial, avec les enfants et la mère d’Elena, et le bébé à venir et la donneuse. Nous les avons installées ensemble . . .

Elena . . . et nous avons cherché une représentation et une place pour chacun. C’est pour la donneuse que cela nous a posé le plus de questions. Nous avions choisi une belle femme blonde, aussi blonde que je suis brune. Gregory ne la voulait pas trop proche. Après discussion nous l’avons placée bien visible mais derrière nous un peu à l’écart de notre clan familial. Nous avions des divergences sur l’accès aux origines. Pour moi la condition au don était la possibilité pour l’enfant de connaître la donneuse . . .

Gregory – . . .  alors que pour moi le don anonyme était rassurant, pour éviter de créer de la confusion et la représentation d’une mère biologique.

Elena

Aujourd’hui je parle volontiers de mère génétique pour la donneuse et mère épigénétique pour celle qui porte cet enfant et qui est aussi la mère d’intention et la maman du quotidien. Il y a de la place pour chacune.

Gregory Nous avons également fait une constellation de notre famille future : nous avons placé des coussins pour représenter notre famille à venir, nous et l’enfant tout en intégrant la donneuse. Puis nous avons exploré les différentes places pour ressentir et accueillir les questionnements de chacun. En nous mettant physiquement à la place de l’enfant, il nous a semblé qu’il était possible pour lui de se représenter vivre dans une famille aimante et de devoir sa vie à deux femmes et un homme.

Elena – A cette place de l’enfant, il y avait un sentiment de gratitude, de joie d’être en vie, un « la vie est magnifique !». Toutes ces explorations nous ont aussi aidés à répondre à cette question :

qu’est-ce qu’on va dire à l’enfant ?

Gregory – Moi je me disais, « on verra quand on y sera ! » Peut-être vers 18 mois, à l’apparition des premiers mots.

Elena – Pour moi c’était dès la grossesse. J’imaginais m’adresser en pensée à l’enfant : « tu es mon enfant » ; en même temps que j’anticipais de la reconnaissance pour cette femme donneuse. C’est ainsi que l’idée de tenter de concevoir un enfant avec un don de gamètes à fait son chemin. Compte-tenu de notre parcours de de mon âge, c’était la dernière ressource et nous avons choisi un clinique en République tchèque.

Donner une représentation et une place à la donneuse et au don

participe pour les futurs parents d’un processus d’élaboration : cela favorise à la fois leur décision et la mise en récit, pour eux-mêmes, pour l’enfant à venir et éventuellement pour leur entourage. L’usage de figurines à la portée symbolique fait reconnaître à chacun-e ce qu’il peut accueillir de ce don dans son histoire et son récit : une femme qui choisit une figurine de femme lui ressemblant témoignera peut-être de l’esprit de sororité qu’elle associe au don de vie d’une autre femme et mère ; le couple qui sélectionne un support animal, comme par exemple une tortue, pourra vouloir symboliser un potentiel de fécondité archaïque qui circule à travers toutes les espèces.

La place donnée au don et à la donneuse dans la crèche dit aussi la distance souhaitée ou l’envahissement redouté : cette représentation du don témoigne-t-elle d’une crainte d’entrave à la relation conjugale ou au tissage du lien entre parent et enfant ? que montre-t-elle de l’ouverture à donner accès à l’enfant à son histoire ? L’enjeu est de pouvoir reconnaître chacun des protagonistes dans sa contribution, dans une place et un dénomination qui rende possible une mise en récit de cette histoire.

Une fois votre décision prise de concevoir un bébé avec un don d’ovocyte, que s’est-il passé ?

Elena – Suite au premier transfert de deux embryons, j’ai été enceinte puis il s’est avéré qu’il s’agissait d’un œuf clair, et nous avons été très déçus. Puis nous sommes allés récupérer pour un second transfert des deux derniers embryons. Nous nous étions demandé  la première fois : « si je tombe enceinte du premier coup, que va-t-on faire des autres embryons, on ne va pas les abandonner ! » C’était une situation bioéthique un peu compliquée qui finalement s’arrangeait. Un embryon a pris et j’ai mené une grossesse évolutive à 44 ans, et tout s’est très bien passé, en plénitude, aussi fluidement que dans ma vingtaine, pour le plus grand étonnement des médecins. La question du don n’en était plus une, le bla bla dans ma tête a disparu. Une fois que l’on est dans l’expérience de la vie, c’est elle qui prime ! 6 ans après notre première FIV, à 45 ans, j’ai donné naissance à Helena. Quel bonheur !

Gregory Et pour notre plus grande surprise,

18 mois après la naissance de notre petite Helena, nous avons découvert qu’Elena était enceinte, spontanément, à 46 ans.

Nous attendons un petit garçon.

Elena – Les médecins me disent : vous êtes en train de défier la science ! Avant ces deux grossesses, ce n’est pas que nous avions perdu espoir mais nous nous disions : il faut accepter que l’on ne sera pas parents ensemble même si c’est très douloureux. Ces deux grossesses sont comme des petits miracles !

Au cours de cette seconde grossesse, vous avez alors ouvert à nouveau l’espace de l’accompagnement périconceptionnel. Avec quelles questions cette fois ?

Gregory – Cette nouvelle grossesse a ouvert des interrogations inattendues : comment dire à Helena qu’elle allait avoir un petit frère ? comment s’assurer qu’en grandissant, elle ne souffre pas d’avoir été conçue différemment de son frère, grâce à un don ? Moi j’avais un peu occulté l’histoire d’Helena une fois qu’elle était là. Aujourd’hui avec les évènements, nous allons être amenés à lui parler de temps en temps, sans en faire une obsession.

Elena – Vous nous avez fait réaliser une nouvelle représentation des conditions de conception de nos enfants, avec des objets. Et par une série d’associations, nous avons réalisé qu’Helena n’était pas la seule de la famille à avoir été portée dans la vie par plus de 2 figures parentales. En dessinant un arbre de transmission sur plusieurs générations, nous avons visualisé que Gregory comme moi avions des grands-parents qui avaient été portés au monde par deux parents puis qui, suite à la perte d’un ou deux de leurs parents, avait été élevés par d’autres adultes faisant office de parents. C’est comme si se répétait pour Helena le fait  d’avoir reçu des transmissions parentales de plus de deux adultes, mais cette fois en conscience et sans drame.

Gregory En visualisant les transmissions, il a été clair que ce qui compte pour nous – l’amour, l’éducation, la protection, les valeurs, l’ouverture sur le monde, . . .  – Helena et son petit frère vont le recevoir autant l’un que l’autre . . . . et c’est cela l’essentiel.

Elena – Et cela a rendu tangible que nous avons reçu, comme nos enfants, de tellement de personnes différentes, pour lesquelles nous pouvons avoir de la gratitude même sans les connaître ! Maintenant que c’est clair dans notre tête, c’est plus facile à raconter.

Concevoir avec un don de gamètes, c’est réaliser qu’il faut « tout un village pour concevoir et élever un enfant ».

De tout temps, en tout lieu, l’accueil des générations nouvelles est en réalité plus que le fait de deux géniteurs : c’est le fruit de transmissions de natures et de sources multiples. Concevoir avec un don de sperme, d’ovocyte ou d’embryon conduit aussi à se poser la question de savoir : qu’est-ce qui fait la mère ? qu’est-ce qui fait le père ? qu’est-ce ce qui fait de notre famille une famille ? Cela nécessité de donner et reconnaître une place et un nom à chaque protagoniste pour que l’histoire de cet enfantement puisse se raconter. Enfin, les familles mosaïques s’interrogent aussi sur qu’est-ce qui fait la fratrie ? la génétique ? la mère qui a porté ? le nom porté ? la vie commune ? . . . Elles cherchent des récits pour accueillir chaque enfant dans son histoire singulière de conception, de naissance et de vie. Repérer comment chaque enfant, à sa place et dans son histoire, fait écho à des motifs transgénérationnels spécifiques pourra s’avérer aidant. Chacun prolonge et renouvelle à sa manière les divers motifs du tissage familial.

Comment diriez-vous aujourd’hui que vous avez enfanté, à votre façon ? Et quel est votre message pour ceux qui vous lisent ?

Gregory – C’est un message d’espoir. Après une dizaine de transferts infructueux, accueillir deux bébés coup sur coup, à 45 ans et plus, est merveilleux. Et j’ai beaucoup de gratitude pour l’association les Cigognes de l’espoir qui nous ont permis de nous dire « ce n’est pas la fin de la route, il y a de l’espoir » . . .

Elena – . . . et tous les gens qui transmettent, les participants à toutes ces rencontres, les personnes qui ont témoigné, cela nous a énormément enrichis. Et bien sûr il y a la clinique, la donneuse, . . .

Gregory – . . . et la chance . . .

Elena – Oui la chance et en même temps je suis convaincue que chercher des ressources à la fois médicales et psychiques est essentiel. Pour moi la psychologie joue beaucoup en matière d’enfantement.

Gregory – Cela permet de mûrir dans la tête.

Elena – C’est une expérience incroyable que nous vivons. Devenir parent est une expérience incroyable, les enfants sont source de beaucoup de joie. Et à tous les âges c’est merveilleux.

En étant plus âgée, j’ai plus de distance, de conscience et de temps à leur offrir.

Bien sûr on se pose parfois la question : est-ce que je vais avoir l’énergie ? et quand ils auront 20 ans, . . . ? , mais ça c’est le côté mental et ça ne doit pas empêcher de vouloir vivre, ressentir et donner de l’amour, c’est ça l’important ! C’est une magnifique expérience de vie !

Merci Elena et Gregory de nous dire la puissance de l’intention et de l’espoir, l’importance de prendre le temps de maturer une décision de conception avec don de gamètes et de témoigner de la possibilité de devenir parent et de faire fratrie de multiples façons.