témoignage

Laura & Lorraine

Lorraine et Laura, merci de nous confier votre histoire. Qui êtes-vous et qu’en est-il de votre désir d’enfant ?

Lorraine – Nous nous sommes rencontrées en 2014, et de fil en aiguille, nous avons fait notre vie de couple et assez rapidement exprimé notre envie partagée de faire famille d’un ou plusieurs enfants. Nous nous sommes mariées en 2018, la réflexion sur notre projet bébé a été lancée, puis avons engagé un parcours de PMA en Espagne. Nous avons réalisé une IAD, insémination avec donneur anonyme. J’ai été enceinte du premier coup. Nous avons eu beaucoup de chance. J’ai porté notre fils, et Laura m’a « supportée » dans tous les sens du terme jusqu’à la naissance et au-delà. Nous sommes très heureuses d’être Mamans.

Laura – J’ai toujours su que je voulais des enfants. J’ai une sœur dont je suis proche et je m’imaginais dans la reproduction de ce schéma avec deux enfants. Je m’étais figurée les porter, ayant été en couples avec des hommes. En rencontrant Lorraine, la question s’est posée de porter, ou pas, puisque j’avais le choix, et je n’étais plus trop sûre. Pour elle, c’était une évidence, je l’ai laissée prendre le premier tour.

Lorraine – Moi je me suis toujours sentie Maman, d’abord de mon petit frère de dix ans plus jeune ; j’ai adoré m’occuper de lui. Ensuite j’ai fait plein de gardes d’enfants,  j’ai passé mon BAFA et cela a été une période formidable. La question d’être mère ne s’est jamais posée. Cela a toujours été une évidence.

Comment avez-vous concrétisé votre projet d’enfant ?

Laura – Recourir à un tiers donneur était incontournable. Et la question s’est posée de savoir si nous choisissions un donneur connu ou si nous recourions à une banque de sperme, et si oui dans quel pays et quelle clinique pour un don anonyme ou non.

Nous nous interrogions sur les incidences de ces choix pour notre enfant et notre famille à long terme.

Lorraine – La question était épineuse et nous avons eu de grandes discussions. C’est le seul sujet sur lequel nous avions des divergences et des appréhensions sur des points différents.

Laura – J’étais favorable à un don artisanal avec un donneur connu, qui trouve une place dans la vie de l’enfant, un peu comme un parrain … pour que l’enfant accède à son origine génétique. Je sais que c’est important pour certains enfants en grandissant …

Lorraine – … mais moi je craignais qu’un jour le donneur « se réveille » avec une envie de paternité et reconnaisse l’enfant avant que Laura ne puisse l’adopter et prenne ainsi à l’état civil sa place de parent. Je ne souhaitais pas prendre ce risque.

Bien sûr si la loi avait été différente, nous aurions pu envisager ce type de configuration avec un donneur connu.

Laura – Nous nous sommes donc orientées vers la piste de la banque de sperme étrangère. Nous aurions souhaité un don non anonyme pour que l’enfant puisse à sa majorité disposer d’informations sur le donneur, mais choisir nous-mêmes un donneur inconnu sur internet nous mettait mal à l’aise sur un plan éthique.

Lorraine –  Nous avons hésité entre un don anonyme en Belgique ou en Espagne et avons opté pour ce dernier pays dont les cliniques faisaient des offres qui nous semblaient claires, avec une transparence rassurante sur le parcours.

Laura – Si l’enfant a besoin d’en savoir plus, nous avons espoir qu’un test génétique et les banques d’informations génétiques associées lui apportent des éléments des origines au moins géographiques. C’est un compromis. Toutes ces démarches de PMA représentent un budget important qui nous a fait à ce moment-là renoncer à une ROPA – Réception des Ovocytes de la Partenaire – et de lui préférer un IAD – Insémination Avec Donneur.

Faire un test génétique

semble à ce jour ouvrir des possibilités d’accès à des informations sur son origine génétique et éventuellement de mise en relation avec des personnes partageant un patrimoine génétique commun. Il est toutefois à noter pour les ressortissants français qu’hors du cadre d’une prescription médicale ou d’une ordonnance judiciaire faire un test génétique est illégal à ce jour. Les tests ADN proposés par des sociétés étrangères qui constituent des banques d’informations génétiques sont à ce jour interdits et toute infraction est passible d’amende. Pour celles et ceux qui soumis à d’autres législations et peuvent accéder à ces tests, il est important d’en connaître les possibilités – une mise en relation avec des membres d’une famille génétique, comme un donneur, une donneuse, ses enfants, d’autres enfants nés de ses dons, … – comme les risques et limites : ne rien trouver, essuyer des refus de mises en relation, être importuné par des demandes de contact, être confronté à une réalité loin des fantasmes que l’on avait pu nourrir, … Cela supposera donc d’être très au clair sur les attentes et limites, et de considérer les risques éventuels de ce type de démarche avant de les engager, tout particulièrement pour des mineurs.

Comment avez-vous pris vos places de mères et vivez-vous vos maternités ?

Lorraine – Dans l’intimité de notre couple, les choses étaient claires et confortables pendant la grossesse, belle et miraculeuse. Chacune avait sa place. Laura a tout pris en charge, l’administratif, les prises de contact avec les assistantes maternelles, le dossier de la crèche, et mon surtout mon bien-être… c’était royal !

Laura – C’était important de décharger Lorraine pour qu’elle profite pleinement de ce qui pouvait être sa seule grossesse dans l’éventualité où je porterais la suivante et où nous nous en tenions à 2 enfants. Mais la grossesse est passée très vite et j’ai senti Lorraine un peu peinée. J’ai senti qu’à travers les séances d’haptonomie et les cours de préparation à l’accouchement je prenais toute ma place auprès d’elle et du bébé.

Lorraine – A l’accouchement, Laura a accueilli notre bébé, fait du peau à peau, donné une tétée d’accueil. Nous avons vécu dans notre cocon tous les trois pendant les dix premiers jours. Au départ, j’exprimais mon lait pour me reposer et le petit tétait la seringue que Laura lui donnait. Puis l’allaitement s’est mis en place, j’assurais l’essentiel du nourrissage, j’étais dans mon 4ème trimestre de grossesse, et cela coupait un peu Laura de notre fils. Les places ont commencé à bouger.

Laura – Au départ, nous avions des places complémentaires et en équité. Et puis j’ai repris le travail ne donnant plus qu’un biberon par jour. J’ai eu l’impression de rater un truc et de ne pouvoir être la mère nourricière proximale que j’avais imaginé être. Les coliques et besoins de succion du bébé, les réactions hormonales de Lorraine à ses pleurs, l’allaitement, prolongé au-delà de ce que nous avions imaginé, jusqu’à 7 mois, ont bousculé notre projection dans une maternité « à égalité ». Nous avons expérimenté des effets de la grossesse et de l’allaitement sur la façon dont notre enfant cherche à satisfaire ses besoins, en privilégiant la proximité physique à Lorraine quand cela est possible. Je n’étais pas préparée à ce décalage entre la construction sociale de la maternité, notre projection dans des façons d’être mères « à égalité » et la réalité des besoins d’un bébé et de celle qui l’a mis au monde, dans le post-partum et au-delà. Je découvrais une autre réalité de mère, dans un statut « hybride » par rapport à celui de Lorraine.

Lorraine – Cela a induit un ressenti parfois douloureux. D’autant plus que

la famille et la société accordent crédibilité et légitimité à celle qui a porté et allaite et peu à la « mère dite sociale ». C’est comme s’il y avait à prouver, être en représentation.

Laura – Il aura fallu quasiment dix-huit mois pour que je sente la reconnaissance familiale de ma capacité à m’occuper de mon enfant et de mon statut de mère. La société a du mal à attribuer l’étiquette de mère à une femme qui n’a pas porté. Il n’y a jamais eu aucun doute pour moi sur le fait que j’ai désiré cet enfant et que je suis sa mère, donc j’anticipais de façon assez pragmatique l’adoption de mon enfant juste comme un point de passage obligé. En fait cela s’est avéré humiliant de devoir prouver à la société que je suis mère, de devoir par exemple attendre les 6 mois révolus de notre fils pour faire une requête d’adoption ; et puis que suite à l’envoi du dossier au tribunal, des preuves complémentaires de mon engagement parental me soient demandées; qu’il m’ait fallu envoyer des photos, solliciter des tiers – des proches et des professionnels médicaux – pour témoigner de ma maternité et de ma capacité maternelle. Par contre, je n’ai eu que 5 lignes dans le dossier pour expliquer mes motivations à adopter ! Heureusement, l’évolution de la loi nous permettra de passer par une reconnaissance anticipée pour un prochain enfant.

Qu’est-ce qu’une mère ?

L’adage latin Mater semper certa est, la mère est toujours certaine, a modelé les principes de droits français comme les constructions sociales de ce qui fait la mère. Dans ce contexte, toute autre forme de maternité – adoptive, sociale, affective, … peine à sortir de la marge et bénéficier et d’une reconnaissance juridique et d’une légitimité sociale. Deux femmes qui font famille et deviennent mères ensemble prolongent dans leur expérience parentale la dynamique de leur vie conjugale, faite de similitudes, de recherches d’égalité comme de différences, d’expériences de complémentarités. Devenir mères ensemble passe nécessairement par des temps de complémentarités, par des asymétries, qui s’avèreront précieuses pour la construction de l’enfant.

Vous évoquez un prochain enfant. Ce projet de second enfant, comment l’envisagez-vous ?

Lorraine – Cela nous pose à nouveau toute une série de questions : en premier lieu, qui va porter ? Cela nous amène l’une ou l’autre à renoncer ; soit pour moi renoncer à une seconde grossesse, si nous nous en tenons à deux enfants ; soit pour Laura, renoncer à porter à un bébé.

Laura – Je suis tentée par l’expérience de porter cette grossesse, et par le fait d’avoir une véritable reconnaissance familiale et sociale de ma maternité, en même temps que je ne peux qu’avoir des incertitudes sur la façon dont nous pourrions l’une et l’autre vivre une telle grossesse et tisser les liens d’attachement avec l’enfant.

Lorraine – Il nous faut aussi décider qui va donner ses ovocytes, savoir si nous pourrons avoir le même donneur ou pas ?

La question de l’équité se pose dans notre couple et également entre les enfants

Jusqu’à quel point c’est important pour nous que nos enfants aient la même génétique ? Est-ce que les liens du sang, les ressemblances physiques renforcent la fratrie ? S’ils ont deux patrimoines génétiques différents se sentiront-ils autant frères et sœurs ?

Comment les pratiques d’accompagnement périconceptionnel participent-elles à votre processus de décision ?

Laura – Dessiner notre parcours m’a d’abord permis de prendre du recul. J’ai réalisé la série de choix et de renoncements que nous avons fait pour la première grossesse. J’ai visualisé aussi les tournants, comme ce moment de la reprise du travail où j’ai ressenti très fort une forme de césure et d’inéquité dans la maternité.

Lorraine – Mon dessin était très différent, en ligne droite, reflétant l’évidence que j’ai ressentie. Voir celui de Laura, en serpentin, chargé de questions, m’a rappelé tous les enjeux auxquels fait face, dans ce parcours, celle qui ne porte et n’allaite pas.

Laura – Pour le choix des conditions de la venue d’un second bébé, nous avons réalisé des constellations comparatives des quatre options possibles : bébé conçu par IAD et porté par Lorraine ou par moi ; conception par ROPA et porté par l’une ou l’autre. Et pour chaque option et chacune de nous deux, le corps a parlé. Nous avons pu être surprises de sentir ce qui pour chacune vibre ou pas, les situations qui nous font ressentir de la joie, du doute, ou encore la tristesse du renoncement. Laisser émerger également les questions et besoins des enfants dans chacune de ces projections est très sécurisant. Pouvoir verbaliser nos ressentis par rapport aux différentes options, dans un cadre bienveillant, avec un tiers gardien du processus nous permet d’exprimer nos différences en sécurité et nous allons pouvoir cheminer dans ce choix en conscience.

Faire des choix sur les modalités de conception

ouvre une multitude de questions pratiques, psychologiques et relationnelles et éthiques. Adresser ses questions autant que faire se peut en amont d’une conception permet de tenir compte des positions de chaque protagoniste, des relations, pour le présent comme pour l’avenir et d’ouvrir un espace de dialogue, d’élaboration de sens et de récit. Face à la complexité des décisions qui sont en jeu, les raisonnements purement analytiques montrent souvent leurs limites. Donner l’occasion de les compléter avec des dispositifs d’exploration qui donnent une place au ressenti, à l’expression des motivations inconscientes, contribue souvent à aider les futurs parents à identifier les configurations qui sont le plus porteuses de joie et d’énergie de vie et à se projeter.

Qu’imaginez-vous dire à vos enfants de vos enfantements, à votre façon ?

Lorraine – Je suis fière et heureuse de notre famille. Quand nous nous retournerons sur notre chemin, ce parcours nous aura construites, solidifiées, unifiées comme femmes et comme couple, et il aura construit notre famille. La question de qui porte et tisse des liens plus charnels les premiers mois d’une vie nous semblera probablement moins importante à terme.

Laura – Nous disons déjà à notre fils qu’il existe plein de façons de faire famille, et nous dirons et montrerons qu’être parent, c’est s’engager dès le début du projet et toute la vie. Ce qui compte pour nous, ce sont les questions que nous nous sommes posées, les choix pesés et réfléchis, le projet conscient et solide qui font de nos enfants des enfants désirés et aimés.

Merci Lorraine et Laura de nous avoir partagé la multiplicité des questions et décisions qui se sont présentées à vous en tant que femmes devenues mères ensemble. Vous nous dites comment la parentalité, la maternité, la famille ou la fratrie prennent des formes qui se réinventent, sur un plan individuel et que ce dont ont besoin toutes les familles c’est d’une reconnaissance sur un plan collectif, tant sociétal que juridique.